lundi 11 décembre 2006

Pourquoi je suis un scetique sur les discours religieux


Paul Kurtz

Reflections de

Paul Kurtz

lors de son 80e anniversaire

Des incroyants ont débattu à leur manière pour décrire leur position. Certains scientifiques et philosophes, notamment Richard Dawkins et Daniel C. Dennett, ont récemment manifesté leur penchant pour le terme " éclairé " (anglais : bright) [1]. Cette proposition leur semblait une idée intelligente, dans l’espoir que ce terme surmonterait la connotation négative que d’autres termes comme " athée " ont suscitée dans le passé. Pour beaucoup, il offre un avantage intéressant. Les opposants à l’usage du terme " éclairé " répondent qu’il est présomptueux de notre part de suggérer que nous sommes " éclairés ", autrement dit, intelligents, brillants, ce qui impliquerait que ceux avec qui nous sommes en désaccord ont l’esprit terne ou sont bêtes. Il est clair que certaines personnes ont été rebutées par le terme athéisme qu’ils perçoivent comme trop négatif ou dogmatique. D’autres se réfugient peut-être dans quelque forme populaire d’agnosticisme, qui suggère qu’ils sont tout simplement incertains à propos de la question de dieu – à moins que cela leur permette simplement de recourir à la foi ou au fidéisme comme une manière d’esquiver astucieusement le problème.

J’aimerais introduire un autre terme dans l’équation, une description plus adéquate de " l’incroyant " religieux. On peut dire simplement : " je suis un sceptique ". C’est une position philosophique classique, mais toujours pertinente, selon moi, car beaucoup de gens sont profondément sceptiques en matière de prétentions religieuses.

Le scepticisme est largement utilisé dans les sciences. Le sceptique met en doute les théories ou hypothèses sauf s’il est capable de les vérifier sur des bases probantes adéquates. Il en va de même des chercheurs sceptiques en matière de religion. Le sceptique en religion n’est pas dogmatique, il ou elle ne rejette pas les prétentions religieuses a priori ; tout simplement, il ou elle n’est simplement pas en mesure d’accepter l’hypothèse en faveur de dieu sauf si elle est soutenue par une preuve adéquate.

La charge de la preuve - fournir des raisons et des preuves convaincantes de leur croyance en l’existence de dieu - incombe aux théistes. La foi en soi ne peut suffire, car les fois sont incompatibles – dans tous les cas – le recours à la foi pour soutenir son credo est irrationnel dans la mesure où c’est une revendication prétentieuse basée sur " la volonté de croire ". Si ce type d’argumentation était valable, alors chacun serait en droit de croire au gré de sa fantaisie.

Le sceptique a donc besoin de preuves et de raisons avant d’accepter une hypothèse ou une croyance. Toujours ouvert à l’investigation, le chercheur sceptique est prêt à changer ses croyances à la lumière de nouveaux arguments ou de nouvelles preuves. Il n’acceptera pas l’argument d’autorité ou de foi, d’habitude ou de tradition, d’intuition ou de mysticisme, pas plus que les témoignages de miracles ou de révélations non corroborés. Le chercheur sceptique est disposé à suspendre son jugement sur des questions ne comportant pas suffisamment de preuves. En ce sens, les sceptiques sont de vrais agnostiques, en ce qu’ils considèrent la question comme restant ouverte, même s’ils demeurent des incroyants en ce qui concerne des propositions où, selon eux, les théistes offrent trop peu de preuves et des arguments non valides. Donc ils considèrent l’existence d’un dieu comme hautement improbable.

En ce sens, un sceptique est un non théiste ou un athée. La meilleure manière de décrire cette attitude, selon moi, est de dire qu’une telle personne est un sceptique en matière de propositions religieuses.

Le scepticisme, posture philosophique et scientifique cohérente, a toujours traité de questions religieuses et a prétendu trouver peu de justifications philosophiques ou scientifiques en faveur d’une croyance en dieu. Les philosophes de l’Antiquité, tels que Pyrrhon, Cratyle, Sextus Empiricus et Carnéade se sont posés des questions métaphysiques et théologiques. Les philosophes modernes, notamment Descartes, Bacon, Locke, Berkeley et Kant, se sont abondamment penchés sur le scepticisme classique en développant leurs conceptions scientifiques. Beaucoup d’entre eux ont trouvé la " question de Dieu " inintelligible; la science moderne n’a pu progresser qu’en rejetant les prétentions occultes en raison de leur vacuité, comme l’ont fait Galilée et d’autres scientifiques actifs, de même que des auteurs plus récents tels que Freud et Marx, Russell et Dewey, Sartre et Heidegger, Popper et Hook, Crick et Watson, Bunge et Wilson.

A mon avis, l’expression " un sceptique en matière de religion " est plus appropriée que le terme " athée ", parce qu’elle met l’accent sur la recherche. Le concept de recherche investigatrice contient une importante composante constructive, car l’investigation mène au savoir scientifique – la compréhension humaine de notre place dans le cosmos et le fonds sans cesse croissant de connaissances humaines.

Pour continuer, je voudrais exposer quelques unes des preuves et raisons pour lesquelles beaucoup de scientifiques et de philosophes sont sceptiques devant les affirmations religieuses théistes. Je me concentrerai tout d’abord sur le théisme surnaturel et spécialement sur les religions monothéistes qui insistent sur une éthique de maîtrise, sur l’immortalité de l’âme et sur une eschatologie du ciel et de l’enfer. Pour être bref, je ne donnerai qu’une esquisse du procès contre dieu.

En résumé, j’affirme que le chercheur sceptique est dubitatif quant aux assertions

  1. que dieu existe ;
  2. qu’il est une personne ;
  3. que nos principes moraux ultimes émanent de dieu ;
  4. que la foi en dieu procurera le salut éternel ; et
  5. que l’on ne peut être bon sans croire en dieu.

Je rappelle que la charge de la preuve incombe à ceux qui croient en dieu. S’ils sont incapables de plaider en faveur de la croyance en dieu, dans ce cas j’aurai pleinement le droit de rester un sceptique.

Pourquoi les sceptiques doutent-ils de l’existence de dieu ?

  • Premièrement, parce que le chercheur sceptique ne trouve pas que la conception traditionnelle d’un dieu transcendant, omnipotent, omniprésent ou tutélaire soit cohérente, intelligible ni sensée. Postuler un être transcendant qui est incompréhensible pour l’esprit humain (comme le prétendent les théologiens) n’explique pas le monde auquel nous sommes confrontés. Comment pouvons-nous dire qu’un tel être existe si nous ignorons dans quel sens cet être est censé exister ? Comment devons-nous entendre un dieu qui existe en-dehors de l’espace et du temps et qui transcende notre capacité de comprendre son essence ? Les théistes ont postulé un " X " inconnaissable. Mais si son contenu est insondable, alors il n’est guère qu’une abstraction spéculative et vide. Le sceptique religieux présente donc des objections sémantiques au mot dieu, l’accusant d’être inintelligible et de manquer de tout référent clair. Un argument populaire invoqué pour l’existence de cette entité inconnaissable est qu’il est la cause première, mais à qui postule cela, nous sommes en droit de demander " quelle est la cause de cette cause première ? ". Dire qu’elle est non causée ne fait que repousser notre ignorance d’un pas en arrière. Sortir de l’univers physique, c’est assumer une réponse par un saut dans la foi.

    Dire que l’univers manifeste un dessein intelligent (intelligent design) n’explique pas non plus le conflit, la lutte pour la vie, l’inéluctable tragédie, le mal, la douleur et la souffrance que nous rencontrons dans le monde des êtres sensibles. Régularités et chaos n’indiquent pas nécessairement un dessein. L’argument du dessein rappelle l’argument téléologique d’Aristote selon lequel il y a dans la nature des buts ou fins. Mais nous ne pouvons trouver de preuves qu’il y ait des buts dans la nature. Même si nous arrivions à trouver ce qui apparaît comme étant un dessein dans l’univers, cela n’implique pas un créateur dont l’existence ne peut suffisamment être prouvée. L’hypothèse évolutionniste fournit une explication plus économe de l’origine des espèces. Les changements dans les espèces au cours du temps sont mieux justifiés par des mutations aléatoires, une reproduction différenciée, une sélection naturelle et l’adaptation, plutôt que par un dessein. En outre, des traits vestigiaux comme l’appendice humain, le coccyx, la poitrine et les mamelons des hommes dénotent difficilement un dessein adéquat ; il en va de même de certains organes vestigiaux dans d’autres espèces. Donc, la doctrine créationniste est peu étayée en termes empiriques.

    Une autre version de l’argument du dessein intelligent est l’argument dit du réglage fin (fine tuning). Ses partisans soutiennent qu’il y a une combinaison unique de " constantes cosmologiques " dans l’univers et qu’elle possède les seules valeurs capables de maintenir la vie, en particulier celle des systèmes organiques sensibles. C’est ce qu’elles attribuent à un concepteur divin. Mais cet argument ne tient pas non plus. Tout d’abord, parce que des millions d’espèces sont déjà éteintes; le prétendu ajustage fin n’a pas réussi à assurer leur survie. En deuxième lieu, un grand nombre d’êtres humains ont disparu pour des raisons naturelles telles que maladies ou catastrophes. Le raz-de-marée de l’Océan indien en 2004, qui a anéanti subitement plus de deux cent mille hommes, femmes et enfants innocents était dû à un glissement dans les plaques tectoniques. Ce n’est pas vraiment l’indice d’un ajusteur fin … après tout cette tragédie aurait pu être évitée si un supposé régleur fin s’était donné la peine de corriger les défauts des couches de surface de la planète. Une variante proche de l’argument du réglage fin est le principe anthropique, qui n’est qu’une simple forme d’anthropomorphisme ; autrement dit, lire dans la nature les espoirs et désirs les plus chers des croyants, et les projeter sur l‘univers. Mais ce faisant, ne devrions-nous pas également attribuer les fautes et les erreurs de la nature au designer intelligent ?

    Ce qui nous amène au problème classique du mal. Si un dieu omnipotent, omniprésent et tutélaire est responsable du monde tel que nous le connaissons, comment alors expliquer le mal ? Les humains ne peuvent tout de même pas être tenus pour responsables d’une inondation gigantesque ou d’une épidémie, par exemple; nous ne pouvons expliquer ces calamités qu’en concluant que dieu est malveillant, puisque les connaissant, il a néanmoins permis que des événements terriblement destructeurs se produisent – ou en insinuant que dieu est impuissant à éviter le mal. Ce qui suggérerait un concepteur inintelligent, déficient ou coupable.

    Les religions historiques soutiennent que dieu s’est révélé lui-même dans l’histoire et qu’il a manifesté sa présence à des humains sélectionnés. Ces révélations ne sont pas corroborées par des observateurs indépendants et objectifs. Elles sont plutôt divulguées à des prophètes ou des mystiques, dont les déclarations n’ont pas été suffisamment vérifiées : il y a trop peu de preuves circonstancielles que pour confirmer leur authenticité.

    Attribuer des événements inexplicables à des miracles accomplis par dieu, comme le prétend la littérature dite sacrée, est un substitut fréquent à une recherche scientifique de leurs vraies causes. La recherche scientifique est généralement à même d’expliquer les prétendus " miracles " en découvrant les causes naturelles.

    La Bible, le Coran et autres documents classiques sont pleins de contradictions et d’erreurs factuelles. Ils ont été écrits par des êtres humains d’anciennes civilisations, exprimant les spéculations scientifiques et morales de leur temps. Ils ne transmettent pas la parole éternelle de dieu mais plutôt les aspirations profondes de tribus anciennes, basées sur des légendes orales et des doctrines héritées; en tant que tels, ils ne conviennent pas à toutes les cultures et toutes les époques. L’Ancien et le Nouveau Testament sont extrêmement douteux quant aux événements et aux personnages qu’ils décrivent; Moïse, Abraham, Joseph, etc. sont loin d’être corroborés par les preuves historiques. Ainsi pour le Nouveau Testament, les érudits ont montré qu’aucun de ses auteurs n’a connu Jésus directement. Les quatre Evangiles n’ont pas été écrits par des témoins oculaires mais sont le produit de la tradition orale et de la rumeur. Il n’existe que des preuves inconsistantes et contradictoires de la naissance de la Vierge, des guérisons de Jésus et de la Résurrection. De même, contrairement à ce que prétendent les musulmans - que les écritures saintes ont été virtuellement transmises sans médiation de la bouche d’Allah - il y a eu en réalité différentes versions du Coran, qui n’est que le produit de traditions orales, tout autant que la Bible. Pareillement, la provenance des Hadith, prétendument transmis par les compagnons de Mahomet, n’a pas été confirmée de manière indépendante par la recherche historique fiable.

    Certains prétendent croire en dieu en disant que dieu est entré dans leur vie personnelle et l’a imprégnée d’un sens nouveau. C’est là une explication psychologique ou phénoménologique de l’expérience intérieure d’une personne. Il est difficile de l’accepter comme preuve suffisante de l’existence d’un être divin indépendant des monologues intérieurs d’êtres humains. Faire appel à des expériences mystiques ou à des états de conscience subjectifs privés ne peut suffire de support prouvant qu’un être ou une force extérieurs ont causé ces états de conscience modifiés; l’investigateur sceptique a une base suffisante pour douter, à moins que ces prétendues expériences intérieures ne puissent être corroborées de manière indépendante. Des expériences vécues de dieu ou de dieux, d’anges ou de démons leur parlant peuvent sans doute déranger ou mettre en transe les personnes sujettes à ces expériences, mais la question est de savoir si ces états subjectifs internes ont une vraisemblance externe. Cela s’applique en particulier aux individus qui allèguent certaines révélations spéciales venues d’en haut, comme lorsqu’ils entendent des commandements.

  • En deuxième lieu : dieu est-il une personne ? Revêt-il forme humaine ? A-t-il communiqué sous une forme discernable, disons, comme le Saint Esprit, à Moïse, Abraham, Jésus, Mahomet ou à d’autres prophètes ? Une fois encore, ces allégations ne sont pas corroborées par des témoins oculaires objectifs, mais sont plutôt promulguées par les propagandistes des différentes traditions religieuses qui ont été infligées aux sociétés et renforcées par des autorités ecclésiastiques et des pouvoirs politiques établis. Elles se maintiennent grâce à des coutumes et des traditions ensevelies depuis des millénaires dans les sables du temps et l’inertie institutionnelle. Elles sont simplement supposées vraies sans être mises en question.

    Les documents anciens alléguant l’existence de dieu datent de temps antérieurs à la philosophie et ils ne sont en aucun cas confirmés par la recherche scientifique. Ils constituent souvent l’expression littéraire éloquente d’une poésie morale existentielle, mais ils ne sont pas recoupés par des preuves archéologiques ni par une recherche historique soigneuse. En outre, ils se contredisent les uns les autres dans leurs prétentions d’authenticité et de légitimité.

    La croyance ancienne que dieu est une personne n’a pas été corroborée par un témoignage historique. De telles conceptions divines sont anthropomorphiques et anthropocentrées, lisant dans l’univers les prédilections et les sentiments des humains. " Si les lions avaient des dieux, ceux-ci auraient un caractère léonin " disait Xénophon. Les dieux humains sont donc des extrapolations d’aspirations et d’espoirs humains, des histoires fantaisistes de fiction imaginative.

  • En troisième lieu, l’affirmation que nos valeurs morales ultimes émanent de dieu, elle aussi, est éminemment suspecte. Les prétendus codes moraux sacrés reflètent les cultures socio-historiques dont ils sont une émanation. Par exemple, l’Ancien Testament commande que les adultères, les blasphémateurs, les fils désobéissants, les bâtards, les sorcières et les homosexuels soient lapidés à mort. Il menace de culpabilité collective : le châtiment est infligé par Yahvé aux enfants des enfants des incroyants. Il défend le patriarcat et la domination des hommes sur les femmes. Il excuse l’esclavage et le génocide au nom de dieu. Le Nouveau Testament rend " à César ce qui est à César " ; il exige que les femmes obéissent à leur mari; il croit aux guérisons par la foi, aux exorcismes, aux miracles ; il exalte l’obéissance plutôt que l’indépendance, la peur et le tremblement plutôt que le courage, et la piété plutôt que l’autodétermination.

    Le Coran ne tolère pas la dissidence, la liberté de conscience, ou le droit à l’incroyance. Il dénie les droits des femmes. Il exhorte au djihad, à la guerre sainte contre les infidèles. Il réclame la soumission complète à la parole de dieu telle qu’elle a été révélée par Mahomet. Il rejette la séparation entre la mosquée et l’Etat, établissant ainsi la loi de la sharia et la théocratie des imams et des mollahs.

    De cette paternité divine sont issus des commandements moraux contradictoires; les théistes se sont souvent positionnés aux extrémités opposées des questions morales. Parmi les croyants, il y en a qui sont pour et contre la guerre, pour et contre l’esclavage, pour et contre la peine capitale, certains adoptant la vengeance, d’autres l’indulgence et la réhabilitation; pour et contre la royauté de droit divin, le patriarcat; pour et contre l’émancipation des femmes; pour et contre l’interdiction absolue de la contraception, de l’euthanasie et de l’avortement; pour et contre l’égalité des sexes et des genres; pour et contre la liberté de la recherche scientifique; pour et contre les idéaux libertaires d’une société libre.

    Dans le passé, les vrais croyants ont rarement trouvé place pour l’autonomie humaine, la liberté individuelle ou la confiance en l’homme. Ils ont mis l’accent sur la soumission à la parole divine plutôt que sur l’autodétermination, la foi plutôt que la raison, la crédulité plutôt que le doute. Ils ont trop rarement fait confiance à la capacité des humains de résoudre les problèmes et de créer un avenir meilleur en faisant appel à leurs propres ressources. Face à la tragédie, ils supplient dieu en le priant au lieu de mobiliser le courage de vaincre l’adversité et de construire un meilleur futur. Le sceptique conclut : " aucun dieu ne nous sauvera; si nous pouvons être sauvés, ce sera par nos propres efforts ".

    Les religions traditionnelles n’ont que trop souvent guerroyé contre d’autres religions ou idéologies leur disputant la légitimité de leurs révélations divines, mais aussi contre les sectes qui ne sont que de simples variantes de la même religion (par exemple, catholique contre protestante, shiite contre sunnite). Les religions prétendent parler au nom de dieu, mais carnages, tyrannie et horreurs incommensurables ont souvent été justifiées par des credos sacrés. Les vrais croyants se sont trop souvent opposés au progrès humain : l’abolition de l’esclavage, la libération des femmes, l’extension de droits égaux à des personnes transsexuelles ou homosexuelles, l’expansion de la démocratie et des droits humains.

    Je me rends compte que les dévots libéraux ont généralement rejeté les credos absolutistes du fondamentalisme. Heureusement, ils ont été influencés par les valeurs démocratiques et humanistes modernes, qui mitigent l’intolérance inhérente au fondamentalisme. Néanmoins, nombreux sont les croyants libéraux qui acceptent un certain article de foi dans les trois religions majeures issues d’Abraham, christianisme, islam, judaïsme : la promesse du salut éternel.

  • En quatrième lieu, nous sommes amenés à demander : ceux qui croient en dieu accèderont-ils vraiment à l’immortalité de l’âme et au salut éternel comme promis ? La première objection du sceptique est que les formes de salut offertes sont éminemment sectaires. La Bible des Hébreux promet le salut éternel au peuple élu ; le Nouveau Testament promet l’extase à ceux qui ont foi en Jésus-Christ ; le Coran promet le ciel à ceux qui acceptent la volonté d’Allah telle que transmise par Mahomet.

    En général, ces promesses ne sont pas universelles mais valent uniquement pour ceux qui acquiescent à un credo particulier, tel qu’interprété par des prêtres, ministres du culte, rabbins ou mollahs. Des guerres sanglantes ont été menées pour établir la légitimité de la papauté (guerres entre protestants, catholiques romains, orthodoxes orientaux), la priorité de Mahomet et du Coran ou l’authenticité de l’Ancien Testament.

    Seconde objection : il y a trop peu de preuves scientifiques démontrant que " l’âme " peut avoir une existence séparée du corps et qu’elle peut survivre à la mort en tant qu’entité " désincarnée ", et bien moins encore pour démontrer qu’elle peut persister pour l’éternité. La science met en évidence que " l’esprit " ou "la conscience " est une fonction du cerveau et du système nerveux et que la mort physique du corps entraîne la disparition du " moi " ou de " la personne ". L’affirmation selon laquelle l’âme d’une personne peut perdurer éternellement n’est pas étayée par la moindre preuve quelle qu’elle soit, mais seulement par une pieuse espérance.

    Dans le même ordre d’idées, les croyants n’ont jamais réussi à démontrer l’existence des âmes désincarnées des milliards de nos prédécesseurs. Tous les efforts pour communiquer avec ce genre d’entités désincarnées ont été stériles. Les fantômes prétendument observés n’ont pas été confirmés par des témoignages oculaires fiables.

    Le recours à des expériences de mort imminente ne fait que témoigner d’expériences phénoménologiques de personnes qui vivent une partie du processus de mort mais qui, en fin de compte, ne meurent pas. Evidemment nous n’entendons jamais parler de quelqu’un qui, selon des critères cliniques de référence, serait réellement mort, aurait fait un aller-retour " de l’autre côté ". Dans tous les cas, ces expériences subjectives peuvent être expliquées en termes de causes naturelles, psychologiques et physiologiques.

  • En cinquième lieu, les théistes soutiennent que l’on ne peut être bon sans croire en dieu. Le scepticisme quant à l’existence de dieu et au plan divin n’implique pas le pessimisme, le nihilisme, l’effondrement des valeurs, pas plus que la posture du " tout se vaut ". Il a été démontré maintes fois, et par d’innombrables êtres humains, qu’il est possible d’être moralement concerné par les besoins des autres, d’être un bon citoyen et de mener une vie de noblesse et d’excellence – le tout sans religion. On peut donc être vertueux et altruiste, capable de compassion et de bienveillance, sans croire à une divinité. Une personne peut développer les vertus morales courantes et exprimer de l’indulgence aux autres sans dévotion à dieu. Il est possible d’être plein d’empathie tout en s’occupant de son propre bien-être. Les principes et les valeurs éthiques laïques peuvent donc reposer sur la démonstration et la raison, sur une culture de progrès et de développement moral, sur une base commune qui relie les hommes. Nos principes et nos valeurs se justifient si nous examinons les conséquences de nos choix et si nous les modifions à la lumière de l’expérience. Les sceptiques qui sont humanistes se focalisent sur une vie bonne ici et maintenant. Ils nous exhortent à vivre de manière créative, cherchant une vie pleine de bonheur voire d’exubérance joyeuse. Ils nous pressent de faire face à l’adversité avec équanimité, de mobiliser courage et tolérance stoïques pour vivre en toute cohérence malgré les revers, et de prendre plaisir à nos réussites. La vie peut être pleine de saveur et elle vaut d’être vécue pour elle-même, sans qu’il soit besoin d’un support extérieur.

    Même si les valeurs et les principes se rapportent à des intérêts et à des besoins humains, cela ne veut pas dire qu’ils sont nécessairement subjectifs. Au contraire, ils s’accommodent d’évaluations et de modifications objectives et critiques à la lumière de la raison. Un nouveau paradigme est né, qui intègre scepticisme avec humanisme laïque, un paradigme basé sur une sagesse scientifique, et une conception naturaliste de la nature. Le sceptique en matière de religion peut donc lui aussi être parfaitement concerné moralement par les besoins des autres. Pour récapituler, l’enquêteur sceptique ne trouve pas de preuve concluante – et donc trop peu de raisons – pour croire que dieu existe, qu’il est une personne, que tous les principes éthiques doivent émaner de dieu, que la foi en dieu permettra à l’âme d’obtenir le salut éternel, et qu’une conduite éthique est impossible sans la foi en dieu.

    Au contraire, un scepticisme basé sur l’investigation scientifique laisse place à une explication naturaliste de l’univers. Il peut également préconiser des formes humanistes et laïques alternatives de conduite morale. Par conséquent, nous pouvons simplement affirmer, lorsqu’on nous demande si nous croyons en dieu : " Non, je ne crois pas ; je suis un sceptique " et nous pouvons ajouter " je crois au bien qu’on peut faire ! ".

[1] bright : le terme anglais couvre un champ sémantique plus large : brillant, intelligent, éclairé, éveillé, rayonnant, radieux, gai, joyeux, vif.

Paul Kurtz est l'éditeur en chef de Free Inquiry, il est professeur émérite de philosophie à l'Université de l'Etat de New York à Buffalo, le responsable du Center for Inquiry, Associé Honoraire de Rationalist International (New Delhi) et vice président de Rationalist Press Association (Londres)

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