Créationnisme : le Conseil de l'Europe veut-il enterrer Darwin ?
Guy Lengagne, ancien député français mais toujours membre du Conseil de l'Europe, enrage. Il affirme que la docte assemblée, qui selon Robert Schuman devrait être un "laboratoire d'idées", évolue mal, frappée d'une maladie invalidante qui frappe de plus en plus nos sociétés : le retour de l'irrationnel. Et pour cause, car son rapport, qui dénonce très intelligemment et avec courage les "dangers du créationnisme dans l'enseignement" a été refusé le 26 juin dernier (par 64 voix contre 46), et renvoyé en commission, c'est-à-dire en pratique dans les oubliettes.
Guy Lengagne
"Nous assistons aux prémices d’un retour au Moyen Age", affirme Guy Lengagne, qui se dit à la fois stupéfait, effrayé et choqué, de même que la commission qui a longuement travaillé sur ce rapport et qui n'hésite pas à parler de censure, donc d'une violation des libertés d’expression (et même de pensée), le plus primordial des droits de l’homme. Ce qui, dans une Assemblée qui multiplie les leçons sur la liberté et sur les périls risquant de menacer la santé, physique comme mentale, de nos sociétés, pose un sérieux problème.
Guy Lengagne ne voit cependant pas dans ce refus une volonté de l'Assemblée elle-même, mais plutôt le résultat de manœuvres concertées de ceux qui veulent par tous les moyens, autant religieux que sectaires, lutter contre la théorie scientifique de l'évolutionnisme et imposer les idées créationnistes qui relèvent de la croyance.
"The Origin of Species", édition originale de Charles Darwin
Le créationnisme
Le courant créationniste est essentiellement né aux Etats-Unis il y a une vingtaine d'années (du moins dans sa version moderne) lorsque des groupes d'inspiration religieuse ont entrepris de balayer l'argumentation scientifique issue des découvertes de Darwin pour expliquer l'histoire à la lumière exclusive des textes religieux et de la Genèse. Les plus durs d'entre eux affirment que le monde a été créé en six jours, et pas une seconde de plus ou de moins, tandis que d'autres acceptent un processus à plus long terme, mais toujours conduit par un "créateur". C'est l'intelligent design, dont les représentants se rencontrent aussi bien dans les milieux chrétiens que musulmans.
Mais aujourd'hui, ces thèses sans la moindre base scientifique se répandent progressivement en Europe, quelquefois en suivant des canaux pseudo-religieux.
C'est ainsi qu'en Pologne, le ministre de l'éducation Miroslaw Orzechowski (extrême-droite), qui avait déjà décidé de mettre à l'index des programmes scolaires certains auteurs comme Goethe, Kafka, Dostoïevski entre autres, a condamné publiquement le darwinisme à l'automne dernier, comparant la théorie scientifique à la trame d'un mauvais film de science-fiction.
En Italie, la ministre de l'éducation Letizia Moratti, sous le gouvernement Berlusconi, a déposé en 2004 une proposition de décret destiné à abolir l'enseignement de l'évolutionnisme dans le primaire et le secondaire. Mais grâce à une véritable mobilisation de scientifiques, c'est la proposition de décret qui a été finalement abolie… Et la ministre a remis sa démission.
Au Royaume-Uni, après l'approbation par Tony Blair en 2006 de l'enseignement créationniste dans certains établissements de la High Scholl et trois jours de rassemblements d'adeptes venus du monde entier, le plus important syndicat de professeurs du pays, le NUT (National Union of Teachers) a demandé que soit mise en place une barrière légale afin d'entraver la progression de ce que Guy Lengagne, mais il est loin d'être le seul, qualifie de "cancer mortel pour la pensée scientifique".
En Allemagne, des professeurs d'un lycée privé reconnu par l'Etat ont décidé d'enseigner que les différents types d'animaux sont l'œuvre directe d'un "créateur". Le tollé et les protestations des parents devant cette orientation qui se voulait antiscientifique n'ont réussi qu'à obtenir… l'approbation du gouvernement, sous le prétexte qu'aucune infraction aux programmes scolaires n'avait été constatée.
Atlas de la Création
Début 2007, un luxueux ouvrage apparemment scientifique, l'Atlas de la Création, était envoyé par la poste aux recteurs d'universités de France ou d'écoles supérieures, dont la plupart s'empressaient d'ailleurs de le mettre à la disposition des étudiants. On les comprend, car l'aspect de l'œuvre, dont le contenu et l'illustration évoquaient un contenu de très haut niveau, n'appelait aucune méfiance au premier abord. Mais une lecture plus attentive dévoilait les intentions de l'éditeur, un Turc nommé Harun Yahya, qui étaient de détruire la théorie évolutionniste de Darwin par de multiples exemples, notamment en démontrant, photos en couleurs à l'appui, que nos espèces contemporaines se rencontraient déjà abondamment dans les fossiles, et donc que l'évolution telle que décrite par les (vrais) chercheurs était fausse.
L'Atlas de la Création, recueil de pseudo-sciences.
Las, un examen plus approfondi dévoilait de nombreux trucages. Certaines photos de fossiles ainsi mises en corrélation n'avaient aucun rapport entre elles, quelquefois même appartenaient à des espèces différentes, dont certains caractères étaient habilement mis en valeur au détriment d'autres.
Très rapidement, le livre a été retiré des rayonnages (mais quelquefois conservés à l'intention des étudiants effectuant des recherches sur les sectes religieuses, selon nos sources), tandis que le ministre de l'Education Nationale Gilles de Robien adressait un avertissement déclarant que "ce livre est dangereux et ne correspond pas aux programmes scolaires". Quelques mois plus tard, le même ouvrage débarquait en Belgique et en Suisse, où sa diffusion était aussitôt interdite dans les établissements scolaires.
La Science recule-t-elle ?
Alors que le Président du Conseil de l'Europe, le sénateur belge Luc Van Den Brande connu pour son catholicisme ultra, déclarait ironiquement "Le Conseil de l'Europe n'est pas une Académie scientifique mais une organisation politique", Guy Lengagne ne tarissait pas de mots extrêmement durs envers cette décision qu'il assimile à une véritable censure et à une victoire décisive pour les créationnistes et néocréationnistes (l'"intelligent" design). "Nous avons eu affaire à de violentes oppositions de la part d'un parlementaire russe, soutenu par des Hongrois ; il assimilait l'évolutionnisme au stalinisme, au nazisme et au terrorisme !", assurait-t-il avec insistance en quittant la réunion dans le brouhaha général, clamant "J'ai honte de ce Conseil de l'Europe où j'ai passé dix ans de ma vie !".
Lors d'une conférence de presse organisée le même jour à la hâte, Guy Lengagne déclarait "La cible première des créationnistes contemporains, essentiellement d'obédience chrétienne ou musulmane, est l'enseignement. […/…] Nous sommes en présence d'une montée en puissance de modes de pensée qui, pour mieux imposer certains dogmes religieux, s'attaquent au coeur même des connaissances scientifiques", poursuit-il. Et de s'inquiéter de la montée en puissance des fondamentalistes religieux au travers du mouvement créationniste, qui selon le rapport original n'a rien à voir avec l'enseignement de base du fait religieux tel qu'il est pratiqué depuis des siècles, mais semble plutôt conçu pour fédérer entre elles les énergies d'extrémistes se prétendant d'inspiration divine, aussi bien catholiques qu'islamistes.
Le rapport devrait être à nouveau présenté en octobre, cette fois par la députée luxembourgeoise Anne Brasseur, qui ne manquera pas de se faire l'écho de l'inquiétude de son prédécesseur Guy Lengagne. Espérons que le Conseil de l'Europe sera alors sorti de sa torpeur.
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