« Aujourd’hui, il est vrai que, souvent, le prêtre et l’exorciste ont laissé la place au psychanalyste et au parapsychologue. » Extrait, page 176.
C’est d’abord un beau livre, petit album joliment relié, dont vous feuilletterez avec plaisir les pages glacées richement iconographiées. C’est aussi un travelling historique et sociologique des croyances qui nous habitent et nous agitent depuis la nuit des temps.
Divisé en deux grandes parties, l’ouvrage se présente plus analytique et introspectif dans sa première moitié que dans la seconde. M. Centini commence par une tentative de définition du mot « superstition », entreprise largement compliquée par la richesse des étymologies. Tantôt on rapproche ce mot des mots latins « super » et « stitio » (être au-dessus), tantôt de « superstes » (le survivant). De nos jours, on désigne généralement par superstition l’ensemble des pratiques magico-symboliques extravagantes.
Très vite, avant même d’avoir plongé dans les phénomènes et les causes, l’auteur nous met brutalement en face de nos superstitions, comme devant un miroir : l’homme moderne est toujours superstitieux. Il crée de ses propres neurones une manifestation syncrétique à partir d’autres disciplines comme la magie, la divination, l’astrologie, la religion.
Alors, inévitablement, sautent aux yeux les liens ambigus entre religion et superstition, de nature à la fois antinomique et symbiotique. Pour le superstitieux, le rapport de cause à effet est toujours engendré par un solide matérialisme, grâce aux vecteurs de talismans ou de gestes prédéterminés, alors que dans la religion le rapport à la réalité se fait de façon métaphysique, essentiellement par la prière.
Mais les deux se retrouvent étroitement imbriquées dans certaines attitudes de religiosité, celle du « donner-avoir » par exemple, qui personnifie le Créateur et où, par le biais d’échanges continuels avec le Très-Haut, de faux-croyants perpétuent le matérialisme superstitieux. D’où la coloration païenne de certains comportements religieux.
Le propos de M.Centini vous emmènera plus loin que cette analyse des rapports entre religion et superstition. Il vous guidera aussi dans les arcanes de la foi, de l’idolâtrie, des croyances, des erreurs, des préjugés et tentera de démêler un réseau presque inextricable. Les références aux auteurs sont nombreuses, depuis Plutarque, en passant par Voltaire, jusqu’à Freud et Jung, pour ne citer que les plus marquants.
Vous y trouverez aussi quelques statistiques effrayantes dans un chapitre intitulé « Croire en la magie aujourd’hui » : 71 % des Français croient à la transmission de pensée, 60 % à l’explication des caractères par l’astrologie. D’autres chiffres vous y attendent, tous propres à faire monter en vous l’adrénaline.
Et puis, bien sûr, le point de vue de la sociologie vous est exposé, avec, en particulier, l’analyse de l’astrologie sur quatre pages. La sociologie retient de l’astrologie sa volonté de puissance non réfrénée, la poussant à exiger de la part du « céleste » le succès et la santé pour les initiés engagés dans cette quête.
Paul Couderc est cité comme figure emblématique de la lutte contre l’astrologie, avec son célèbre « Que sais-je ? » sur l’astrologie, resté la meilleure référence depuis 1978. Mais l’auteur semble oublier qu’une précédente édition avait été publiée en 1951, et que depuis, d’autres se sont attelés à la tâche de disqualifier l’astrologie, comme Frédéric Lequêvre aux éditions Horizon Chimérique en 1991.
La psychanalyse a son mot à dire sur les superstitions en général : Freud les voyait comme le besoin de transférer une urgence intérieure sur le plan pratique. Il est toutefois étrange de constater que si la psychanalyse se trouve en position de force pour expliquer les superstitions, cette position peut se retourner contre elle. Car si certaines attitudes du corps sont interprétées par la psychanalyse comme étant des signes d’un mal-être intérieur, ces attitudes, souvent de nervosité, ou de gestes faits sans raison apparente, étaient déjà considérées par la superstition comme une expression…de mal-être justement, et devaient être prises en compte pour la suite de la vie quotidienne. Se gratter la tête ou bâiller n’est donc pas plus anodin à notre époque très « psychanalytique » qu’aux époques reculées superstitieuses ! Alors je me pose la question : la psychanalyse n’aurait-elle gagné ses galons que grâce aux grands maîtres ?
Quand s’ouvre la seconde partie de l’ouvrage, on découvre un catalogue de superstitions, non exhaustif, somme toute assez pénible, mais en lisant les titres des rubriques, on fait de curieuses découvertes… Que, par exemple, les gauchers sont des gens hors normes, et que leur spécificité, encore trop souvent attribuée de nos jours à un marqueur biologique, les classait autrefois dans le camp des « démoniaques ». En subsiste encore aujourd’hui une discrimination vis à vis des gauchers qui nous les fait classer dans le camp des anti-conformistes. Que le délit de faciès conditionne notre approche d’autrui depuis le XVIe siècle, que les comètes sont annonciatrices d’apocalypses, les étoiles filantes revêtues d’une aura positive, et que la Lune, si romantique soit-elle, peut vous connecter avec l’âme d’un loup-garou !
La conclusion appartiendra à la philosophie. Elle décèle que dans toutes les superstitions et tous les mythes s’enracine une conception cyclique du monde. Envisager une périodicité cyclique de tous les événements ouvre une possibilité d’anticipation sur l’avenir, une illusion de puissance.
Le christianisme avait rompu avec cette image, grâce au concept de créationnisme. Mais la complexité de la psychologie humaine et l’enracinement profond de notre conscience archaïque font de nous des opportunistes, butinant ici ou là selon nos besoins.
Un livre à butiner absolument, pour la richesse de la réflexion qu’il développe.
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