jeudi 26 août 2010

Peut-on être anticlérical sans être antireligieux ?

D'après le Petit Robert, le cléricalisme est l' "opinion des partisans d'une immixtion du clergé dans la politique". Dès que le clergé cesse de pratiquer l'immixtion en politique, l'anticléricalisme, en tant qu'opposition au cléricalisme, devrait alors ranger ses armes. Autrement dit, dès que la religion demeure dans la sphère privée, s'alarmer de son discours comme de son influence serait excessif et déplacé. Deux questions doivent cependant être examinées avant de regarder ailleurs :

- une religion qui ne s'exerce que dans la sphère privée perd-elle toute nocivité ?

- une religion peut-elle ne s'exercer que dans la sphère privée et ne plus se préoccuper de politique ?

Sphère privée, sphère publique

Dans le premier cas, la réponse est négative : c'est par le recours simultané à l'aliénation de l'individu et à la contrainte que la religion exerce sa force de persuasion. C'est en affublant le croyant d'une culpabilité que la religion dissuade l'individu de toute aspiration à l'émancipation ; l'imposition d'interdits arbitraires poursuit la tâche d'encadrement du croyant en fixant des frontières à sa pensée et à son existence. L'oppression dans la sphère privée, celle de l'intime, de la famille, est systématique dans les mythes monothéistes :

- pressions contre l'avortement et la contraception dans les milieux très catholiques : des couples ou des femmes seules peuvent être condamnés à élever des enfants qui n'auront pas été désirés; des couples en rupture seront contraints à ne pas divorcer pour demeurer ensemble et sauver les apparences de la famille chrétienne ;

- dans l'islam, le constat est interminable : mariages forcés, mutilations sexuelles (aussi pratiquées dans le christianisme subsaharien), diktat des pères, frères et maris sur les femmes de la famille, imposition du port du voile. L'oppression peut aussi se révéler plus sourde par la difficulté pour une personne issue d'un pays dit musulman de se déclarer athée, de ne pas pratiquer le Ramadan ou de ne pas manger halal. La liberté d'expression ne pourra être déclarée acquise tant que, en France, une personne issue d'un pays dit musulman ne pourra librement se déclarer athée ou agnostique, au risque d'être rejeté par la famille, les amis, les voisins.

Se taire sur ces situations dramatiques au prétexte de la séparation entre sphère privée et sphère publique ou au nom du relativisme culturel est une lâcheté qui sied à beaucoup de carriéristes de la politique, faux laïques mais vrais opportunistes.

Des religions sans ambition politique ?

Du simple fait de leur prétention à l'universalité, les religions ont toujours eu et auront toujours un discours politique. Elles n'accaparent l'individu que pour mieux régir la société dans son ensemble (croyants et incroyants) et la placer sous son autorité, via l'invention de la notion fantaisiste de dieu. La lecture, même rapide ou aléatoire, de la Bible et du Coran suffit pour mesurer la rapacité des monothéismes dans leur avidité à dominer la société. Pour ce faire, la violence est le plus efficace des sermons. D'innombrables passages de la Bible et du Coran exhibent jusqu'à la nausée des pulsions fondamentalement agressives et sanglantes.

Jamais le Vatican ne renoncera à un discours politique, ce serait perdre son statut d'État, son luxe, son pouvoir sur les fidèles, en un mot : sa légitimité. Le Vatican n'existe qu'en tant que puissance politique, diplomatique, économique, avec des succursales dans chaque paroisse. Réduire le catholicisme à un courant mystique qui limiterait son activité à des réflexions sur la foi, la transcendance, la quête de sens, etc. serait le priver de l'essentiel, de son moteur premier : le pouvoir.

En persistant à polluer le débat public avec leur logorrhée sur les questions de société (mariage, procréation, capitalisme, etc.), les papes ont compris que ce genre d'intervention est leur dernier secours pour tenter d'exister encore : la transsubstantiation, la virginité de Marie, son immaculée conception, les anges et leurs auréoles, etc. sont autant d'inepties reçues, au mieux, avec un silence affligé, ou au pire, avec une franche hilarité. Deviser sur l'écologie ou l'immigration est la dérisoire bouée qui assure à la clique vaticane un accès à l'existence médiatique.

Même histoire et mêmes maux dans l'islam : religion et politique ne font qu'un en Arabie Saoudite, en Iran, en Algérie, au Pakistan, etc. Jusqu'en France : en 2001, au congrès de l'Union des Organisations Islamiques de France, le secrétaire général Fouad Alaoui avait affirmé haut et fort qu'il est hors de question que l'islam se sépare de la politique.

Avec quelques siècles de retard et ignorant sa lente décrépitude, les musulmans de France copient le grand frère catholique. La création du Conseil Français du Culte Musulman fut l'invitation par le gouvernement à entrer en politique (divines interventions des ministres Chevènement et Sarkozy) et les musulmans ont bien compris l'intérêt à tirer de ces nouvelles amitiés. Les élus se pressent désormais dans les mosquées, affichent leur présence aux inaugurations de nouveaux temples de la superstition et du fanatisme (François Fillon, Premier ministre, à Argenteuil, Jacques Bourgoin, maire, à Gennevilliers), redoublent d'amabilités pendant le Ramadan. Par l'imposture de l'argument culturel, l'islam de France entre en politique, conformément à la stratégie d'infiltration qui consiste à faire feu de tout bois pour subvertir l'ennemi, feindre l'amitié entre les peuples en étant la première étape.

Et le judaïsme n'est pas en reste. Le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, qui ne manque pas d'intervenir dans le débat politique, convie chaque année les responsables politiques à un diner où on cause plus des affaires du pays que des superstitions gobées par les Hébreux dans leurs péripéties bibliques. En 2002 le rabbin Sitruk avait oublié de se taire en souhaitant une large majorité chiraquienne aux élections présidentielles.

Espérer priver les religions d'ambitions structurelles sur l'organisation de la société ou croire que le discours politique puisse être étranger aux mythes monothéistes est aussi sérieux que compter sur sainte Rita pour retrouver ses clés de voiture, accuser le mauvais œil de l'échec à un examen ou s'interdire d'utiliser un système électrique le vendredi soir. Donc réponse négative à la deuxième question.

L'anticléricalisme ne peut qu'être antireligieux

Espérer que l'anticléricalisme n'implique pas une condamnation totale des religions est donc croire à des chimères et se voiler la face au nom de principes de respect. Le militantisme anticlérical ne peut qu'être antireligieux, ce qui simplifie bien des choses.

Naturellement, dans une société où ne règne ni la théocratie, ni l'athéisme d'État, chacun est naturellement libre de se forger des mondes illusoires où placer le sens de sa vie, de s'inventer une transcendance à sa convenance au moyen d'un syncrétisme quelconque, de rejeter tout système de croyance ou de demeurer dans l'incertitude. Mais la constitution de religions, dont la gloutonnerie ne limite pas les activités à des hallucinations mystiques, implique la formation d'une structure nécessairement autoritaire pour assurer sa propre pérennité ("l'Église persécute par amour et les impies par cruauté" a dit saint Augustin dans un éclair de sincérité). Une religion est constituée dès que des croyants sont rassemblés, qu'un responsable est nommé pour organiser la prière et structurer le groupe, que le bien et le mal sont décrétés par l'arbitraire d'un seul qui prétend être connecté au reste du cosmos. C'est alors l'apparition d'une norme avec sa liste inévitable d'interdits et de condamnations envers les contrevenants. La religion n'est pas réductible à la croyance, elle en est plutôt l'institutionnalisation dans un cadre normatif. Dans des exhortations désespérées, Benoît XVI n'est pas avare d'effort pour, au contraire, professer la stricte équivalence entre croyance et religion.

En refusant d'associer anticléricalisme et antireligion, une réelle respectabilité est conservée aux religions et quelques cadeaux ont été inscrits dans la loi de séparation de 1905. L'article 2 affirme que la République ne salarie ni ne subventionne aucun culte mais maintient la présence d'aumôneries dans les établissements d'enseignement. Dans les articles 13 et 19, en plus de l'article 4, les lieux de culte sont confiés gratuitement aux associations cultuelles et les réparations des églises incombent aux collectivités publiques. Un siècle plus tard, les organisations protestantes réclament leur part du gâteau et l'État s'échine à développer l'islam : constitution du CFCM, facilités pour la construction de mosquées, discours officiel sur le prétendu caractère culturel des pratiques musulmanes.

Distinguer le rejet du cléricalisme d'une opposition radicale aux religions est une victoire discrètement gagnée par le charlatanisme et l'intolérance. Contre les religions, la loi de 1905 ne suffit pas et des voix athées apparaissent plus que jamais nécessaires pour mettre à bas la bêtise, l'ignorance et le totalitarisme religieux.

24 août 2010

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