Quelles sont les « raisons » qui poussent quelqu’un à croire ? Et en quoi ? Ou, formulé autrement, quelles sont les causes socio-psychologiques des croyances ? Doit-on nécessairement démarquer la croyance, relevant du « religieux », des croyances relevant des « mythes et légendes populaires » comme d’aucuns le clament ? Y aurait-il des croyances bénéfiques et des croyances néfastes ? Des croyances qui constituent une élévation spirituelle de l’âme et des croyances qui constituent une descente (aux enfers ?) et ravalent l’homme au rang de la bête ?
Bien que des siècles de marketing direct puissent faire croire à une différenciation de ces divers types de croyances, il est un point commun indéniable : l’abandon de la raison. Tout le reste est question d’emballage et de manipulation de l’histoire de l’Homme.
Quelques raisons de croire [1]
Sociabilisation
La croyance est souvent tout simplement la conséquence d’un processus de sociabilisation. La très grande majorité des personnes ont en effet accepté « automatiquement » les croyances de leurs parents ; l’enfant intériorise tout simplement les éléments dominants de la culture environnante (des enquêtes américaines ont ainsi montré que le meilleur paramètre pour prédire si un enfant allait accepter ou non les croyances religieuses de ses parents était la « force » avec laquelle ces croyances étaient affichées dans le foyer familial). La perpétuation des croyances qui nous intéressent ici pourrait donc déjà provenir en partie du fait que le nombre de familles présentant ces croyances est largement supérieur à celui des « non-croyants ».
Mais – une fois l’empreinte parentale estompée – qu’est-ce qui peut conforter les personnes dans leur « choix » initial ? Quels sont les ressorts qui maintiennent les croyances ?
Un sens dans la vie, un sens de la vie
De nombreuses personnes sont à la recherche d’un « sens » qu’elles présupposent exister (le tristement actuel Intelligent Design est là pour nous le rappeler si nous avions tendance à l’oublier) et pensent trouver ce sens en se tournant vers la croyance au surnaturel, surnaturel censé traduire l’existence d’entités supérieures leur offrant enfin les explications du monde et de l’univers qu’elles recherchent.
En fait, la quête de ce sens repose sur une base relativement… rationnelle : la quête d’explications à l’univers qui nous entoure. Le problème alors est de savoir distinguer les « explications » qui en sont réellement de celles qui n’en sont pas ; mais cela est un autre débat car, indépendamment du fait que la réponse apportée soit correcte ou non, le simple fait d’avoir – ou de penser avoir – une réponse permet de se rassurer.
Raisons de croire et de ne plus croire
Se tourner vers des croyances en le surnaturel repose rarement sur des raisons objectives et « intellectuelles » ; très souvent les raisons sont d’ordre psychologique et émotionnel. Face aux problèmes rencontrés (disparition d’êtres chers, dysfonctionnements familiaux, comportement criminel, drogues…), on obtient alors un certain réconfort – donc la possibilité de vivre « heureux » – que l’on n’aurait peut-être pas pu trouver dans la vie « normale » [2]. Il existe ainsi un décalage entre le raisonnement analytique, rigoureux, qui peut faire perdre la foi, et la pensée intuitive émotionnelle. Mais nous disposons tous de ces deux types de raisonnements, qui prennent place dans un ensemble que des psychologues ont pu vérifier, et préciser au sein d’un modèle aujourd’hui reconnu [3].
Un tampon/support social et psychologique
Une croyance au surnaturel peut également, pour de nombreuses personnes, agir comme une sorte de barrière contre les angoisses, le stress, la peur de la maladie, la mort des proches… L’appartenance à une « structure » de croyants permet même souvent de trouver une aide concrète pour affronter – en groupe – les problèmes de la vie, ce qui n’implique en rien que ces groupes soient plus soudés que d’autres.
La croyance apparaît ainsi comme une stratégie pour « faire face » à certaines difficultés de la vie, ce que les psychologues classent dans ce qu’ils appellent les stratégies de coping [4].
Un statut
L’acceptation, l’intégration, dans une « communauté » de personnes partageant les mêmes croyances présente l’avantage supplémentaire d’offrir un statut, sinon un prestige. L’accepté, que l’on pourrait ici nommer véritablement l’initié, se sent, se sait supérieur au reste de la population « externe » à sa communauté ; il perçoit en fait sa communauté comme une émanation, une sélection extraite de la pauvre et triste communauté globale terrienne qui reste en dehors de la « connaissance » qu’il partage avec les seuls membres de sacommunauté : celle des adeptes de tel dieu, des initiés de la parapsychologie, de ceux qui savent décrypter l’inconscient par la psychanalyse, ou de ceux qui lisent dans les esprits.
En résumé, vivre sans les « bénéfices » associés à une croyance au surnaturel me paraît nécessiter une personnalité forte et indépendante. La béquille psychologique qu’offre la croyance au surnaturel apporte, à mon avis, à l’individu plus de bénéfices que de coûts et je ne suis pas sûr que la non-croyance puisse en proposer autant.
De plus, étant donné que l’approche scientifique nécessite un réel apprentissage, un réeltravail, pour obtenir des connaissances objectives, qui pourrait alors s’arroger le droit de retirer cette béquille s’il ne peut offrir la marche à l’individu en question ?
Tripes ou encéphale ? That’s the question
Si la rationalité a une place évidente et a priori éminente dans l’évaluation de nos croyances et dans leur déconstruction, il pourrait sembler provocateur de (se) poser une autre question : « la rationalité a-t-elle une place dans la construction de nos croyances ? »
Ce n’est pas le niveau scolaire qui définit les croyances de quelqu’un (bien que le niveau de croyance soit lié au niveau scolaire [5]) mais le niveau scolaire oriente le choix vers des revendications ou des faits paraissant plus compatibles avec ce niveau, plus « rationnels ».
Par exemple, dans le cas de la radiesthésie, le pendule – symbole de cette parascience – pourra servir à une personne pour faire de la divination, de la voyance sur cartes à jouer ou tout autre support en captant son « fluide » ; mais, pour une personne dont le niveau d’études sera plus élevé, ce même pendule interviendra plutôt pour la détection du fluide des sources telluriques de la géobiologie, ou la détection des variations magnétiques de la sourcellerie si chère au professeur Yves Rocard [6].
Le délire est le même dans les deux cas, mais il fait plus chic et mieux adapté au niveau d’études élevé dans le cas de la sourcellerie. Le choix paraît plus rationnel ! Quand on commence à chercher des explications, on a du mal à admettre le côté irréel du hasard ou de la voyance. On recherche donc des explications « scientifiques » et le fluide magnétique des sourciers, prétendument bien concret, vient à point nommé. On cherche également les explications « scientifiques » parce que la science est, quoiqu’on en dise, au centre de la culture et de la société qui environnent l’homme moderne.
Voilà pourquoi, au-delà des difficultés qui peuvent exister, un scientifique, citoyen impliqué dans la société dans laquelle il vit, peut et doit soulever les problèmes posés par le développement des pseudo-sciences et des croyances.
Croyances et paranormal sont opposés à la liberté de l’homme
Cela est d’autant plus important que la science est, par définition, ce qui gêne les dogmatiques [7]. Le rôle de citoyen du scientifique prend donc un sens particulier et s’élargit au-delà de la simple sphère du paranormal et son action dans la respublica, par essence même politique, peut aider à mettre en évidence que croyances et paranormal sont en fait intrinsèquement opposés à la liberté de l’homme.
En effet, quelques questions se posent :
L’homme est-il sans libre arbitre ; son destin est-il inscrit dans les arabesques des planètes, au cœur des étoiles ? En fait l’homme est-il un homme-objet ?
Les extraterrestres sont-ils venus sur Terre pour éduquer les hommes, incapables d’évoluer par eux-mêmes ? Sapiens sapiens n’est-il qu’un homme-primate ?
Se laissera-t-on réduire par les médecines magiques à n’être qu’un être humain sans encéphale ? A-t-on vraiment besoin d’accorder un pouvoir thérapeutique spécifique à des granules vides [8] ou à de plaisantes aiguilles ? Niera-t-on l’impact de l’homme même au cœur de son corps ? Pour le réduire à un simple homme-tronc ?
Un pouvoir surhumain, se manifeste-t-il via les sujets choisis (par qui ?) que sont les médiums qui – leur nom l’indique – ne sont que des hommes-supports ?
Y a-t-il une entité qui transcende l’homme et daigne se manifester au travers des miracles ? L’homme, ce serf, ce sujet obéissant, est-il condamné à prendre ses lois, ses commandements, ses ordres au cœur du surnaturel ? L’être humain n’est-il qu’un homme-vassal ?
Contrairement à la forme de leurs allégations, la plupart des astrologues, archéomanes, patamédecins, parapsychologues et théologues répondent finalement, sur le fond, aux questions qui précèdent de manière clairement affirmative [9]. Toutes les « solutions » qu’ils proposent ne sont en réalité que des solutions de facilité qui posent comme base première l’inadaptation foncière de l’homme à pouvoir comprendre réellement l’univers qui l’entoure.
Alors qu’il serait si simple de souligner que s’investir avec les tripes ne doit pas nous empêcher de faire travailler un peu l’encéphale. Et qu’aux diverses questions qui peuvent se présenter, il faut essayer d’élaborer des éléments de réponse (ce qui ne signifie évidemment pas que nous ayons réponse à tout) un peu plus pertinents que les véritables insultes à l’intelligence humaine que sont les allégations des psiphiles – les « adorateurs » des pouvoirs-psi – et autres croyants au surnaturel dont le leitmotiv consiste à déclarer que des « forces » peuvent être mises en valeur par certains individus (les « élus », les « messies », les « surdoués », les autres n’étant que valetaille juste bonne à écouter…), individus qui, de plus, ne sont pas les « générateurs » de ces forces, de ces pouvoirs, mais uniquement les « focaliseurs », les « prêtres », les « médiums ».
Ainsi, contrairement à la prétendue réalité affichée trop souvent dans la plupart des médias colportant monts et merveilles sur religions, croyances et pseudosciences, ces dernières ne sont que les aspects émergés d’un mode de pensée dont la base est, à l’inverse des allégations soutenues, la négation même de la notion d’individu, de liberté, de libre arbitre ; cette base prône en fait l’émergence d’un… homme anencéphale !
Attitude scientifique et comportement civique nécessitent en fait le même terreau mental-moral spécifique pour leur développement. Et une société véritablement démocratique présuppose nécessairement des citoyens aptes à la réflexion, dotés d’esprit critique.
C’est pourquoi offrir à chaque homme de la Cité les outils nécessaires à une réflexion sur le paranormal, c’est permettre, via ce support fortement motivant de viser l’objectif de l’acquisition, de l’appropriation par tout un chacun de la méthodologie scientifique et donc permettre une réflexion sur les enjeux et choix scientifiques, technologiques, civiques et politiques qui marqueront nécessairement notre futur.
L’effet de consensus. Les gens tendent à aligner leur perception d’une scène sur ce qu’en disent les autres ; si, par exemple, on leur montre un visage avec une expression de colère mais que les gens autour d’eux affirment que c’est une moue de dégoût, ils affirmeront eux aussi que c’est une expression de dégoût.
L’effet de faux consensus. C’est l’effet inverse, la tendance à penser que nos impressions sont partagées par les autres, que les émotions ressenties par les témoins d’une scène, par exemple, sont semblables aux nôtres.
L’effet de génération. L’information que l’on crée soi-même est souvent mieux mémorisée que celle qui est perçue. Dans la description d’une scène imaginaire, on retiendra mieux les détails que l’on a soi-même suggérés que ceux qui ont été inventés par d’autres.
Les illusions mnésiques. On peut créer très facilement de faux souvenirs ; les gens ont la certitude intuitive qu’ils ont effectivement entendu ou vu telle chose alors qu’ils l’ont imaginée. Autre exemple : à force d’imaginer que l’on accomplit une certaine action on finit par se persuader, après un grand nombre de répétitions, que l’on a effectivement accompli cette action.
La confusion des sources. Dans certaines circonstances, les gens ne savent plus très bien d’où provient une information (l’ont-ils déduite eux-mêmes ou l’ont-ils apprise de quelqu’un d’autre ? Ont-ils vu, entendu, ou lu cela ?), ce qui rend d’autant plus difficile d’évaluer cette information.
Le biais de confirmation. Dès lors que l’on envisage une hypothèse, on a tendance à remarquer et à mémoriser tout ce qui semble la confirmer, mais on remarque beaucoup moins bien ce qui pourrait la réfuter. Les éléments positifs nous rappellent l’hypothèse et sont donc retenus comme preuves ; les éléments négatifs ne nous rappellent pas l’hypothèse et ne sont donc pas pris en compte.
La réduction de la dissonance cognitive. Nous avons tendance à réajuster le souvenir de nos croyances et impressions à la lumière de notre expérience. Si, à cause d’une information nouvelle, nous nous faisons une certaine opinion à propos d’une personne, nous aurons tendance à penser que c’était notre opinion depuis le début, même si en fait nous pensions le contraire.
Cette liste n’est nullement exhaustive. La littérature expérimentale fourmille d’entorses au raisonnement normatif, à la façon dont nous devrions penser pour être cohérents, efficaces.
Pascal Boyer, Et l’homme créa les dieux, page 437, chapitre « Pourquoi croit-on ? »
[1] B. Altemeyer, B. Hunsberger, Amazing conversions : why some turn to faith and others abandon religion, Prometheus Books 1997. Et pour les raisons indiquées dans cet article, cf. B. Hunsberger, « Social-psychological causes of faith », Free Inquiry, été 1999, p. 34-37.
[2] Il faut remarquer à ce sujet que les personnes qui, par contre, abandonnent leur croyance au surnaturel le font la plupart du temps pour des raisons purement intellectuelles. C’est une dé-construction de l’édifice et des fondements sur lesquels est basée la croyance qui les amène à ne plus pouvoir objectivement croire ce qu’on leur avait enseigné (inculqué ?) et lorsque cette déconstruction est systématique, ces personnes se tournent souvent vers la science comme une aide au tracé de leur vie.
[3] Voir à ce propos, dans ce numéro, l’article « L’origine des superstitions » de Marjaana Lindeman et Kia Aarnio, où la théorie de la double voie cognitive de Evans (2003) est citée.
[4] Voir à ce sujet l’article « Croyances au paranormal, anxiété et contrôle perçus dans l’enfance » de Caroline Watt, plus loin dans ce dossier.
[5] Le niveau, « l’intensité », de la croyance est effectivement corrélé au niveau scolaire. Corrélation surprenante car positive, le degré de croyance au « paranormal » est directement proportionnel au niveau des études effectuées ! Cf. graphique in G. Charpak & H. Broch, “Devenez sorciers, devenez savants”, Poches Odile Jacob 2003, p. 191).
[6] Yves Rocard est l’auteur de plusieurs articles et livres sur le « signal du sourcier » qu’il pensait avoir démontré en faisant appel à une (supposée) sensibilité humaine aux gradients de champ magnétique. Pour avoir une facette de l’information souvent oubliée par les médias, cfhttp://www.unice.fr/zetetique/artic... et Henri Broch Au Cœur de l’Extra-Ordinaire, éd. Book-e-book 2006, pp. 239-247.
[7] La science dans son sens premier de méthode car, si l’on joue sur le sens du mot, il y a, bien sûr, quelquefois des « dogmes scientifiques » ou des « scientifiques dogmatiques ».
[8] Vides, au sens de « ne contenant pas de principe actif en quantité pondérable ».
[9] Pour détails, cf. H. Broch, Au Cœur de l’Extra-Ordinaire, 7e éd. 2006, pp. 331-343